Une reprise anémique dans un contexte de crise multidimensionnelle
Après deux années consécutives de contraction, l’économie cubaine peine à sortir de l’ornière en 2025. L’activité reste freinée par une combinaison de facteurs structurels et conjoncturels, entre performances touristiques décevantes, crise énergétique, durcissement des sanctions américaines et instabilité monétaire.
En 2026, la dynamique demeurera similaire. La consommation privée sera fragilisée par l’inflation élevée, alimentée par la dépréciation du taux de change informel, les pénuries et la réduction progressive de la quantité de biens de première nécessité subventionnés. La réforme monétaire de 2021, visant à unifier les taux de change en supprimant le peso convertible (CUC), a provoqué une spirale inflationniste et une crise monétaire. La dollarisation partielle accentue les pressions sur le taux de change, car elle encourage la course à la devise. De leur côté, les remises d’expatriés seront affectées par le durcissement de la politique migratoire américaine, lié à une interdiction partielle de l’immigration cubaine vers les États-Unis. De plus, à partir de janvier 2026, les transferts via des canaux non bancaires seront surtaxés à hauteur de 1 %. À cela s’ajoute l’interdiction des transactions avec des entités liées à l’État, dont Orbit, acteur du traitement des remises. Ces restrictions américaines pousseront les flux vers l’informalité, qui en représente déjà la moitié. Par ailleurs, le tourisme (environ 10 % du PIB avant Covid) restera en deçà des niveaux pré-pandémiques. Entre janvier et mai 2025, les arrivées ont chuté de 26,6 % sur un an, et de 60 % par rapport à 2019. Les coupures d’électricité, les pénuries et la baisse des flux en provenance du Canada, de la Russie et de la diaspora pèseront sur le secteur. Le rétablissement en juin 2025 de l’interdiction du tourisme américain assombrit les perspectives pour 2026. De surcroît, la consommation publique restera contrainte par l’assèchement des ressources budgétaires. Les marges de manœuvre de l’État demeureront limitées dans un contexte de réticence des investisseurs étrangers, en raison de la réactivation du Titre III de la loi Helms-Burton, de la réinscription de Cuba sur la liste des États soutenant le terrorisme, et de l’absence d’un cadre juridique attractif. Enfin, l’approvisionnement énergétique défaillant constituera un frein à l’activité. Il résulte du manque de devises pour importer du combustible, de pannes répétitives dans les centrales thermoélectriques et d’une dépendance au pétrole vénézuélien. Malgré des projets d’investissement dans les énergies renouvelables (1,5 milliards USD pour 2025), les difficultés logistiques, les retards d’approvisionnement et le manque de financements compromettront la modernisation du secteur.
Les exportations, affaiblies par les sanctions, pâtiront de la baisse des cours du nickel et du déclin de la production sucrière, tombée à 160 000 tonnes en 2024 contre un objectif de 412 000. À l’exception de la pharmacie et de la biotechnologie, le secteur manufacturier demeurera sous-performant, limité par un accès restreint aux intrants importés. Enfin, l’agriculture, bien que portée par le tabac, demeurera vulnérable aux aléas climatiques et aux pénuries d’engrais et de produits phytosanitaires.
Un endettement public insoutenable pour un pays à court de devises
Le déficit budgétaire, structurellement élevé, se maintient en 2025. Les dépenses publiques (+ 9 % selon le budget 2025) restent orientées vers la santé (24 % du total), l’éducation (23 %) et la sécurité sociale (16 %), et sont surdimensionnées par rapport à la capacité de l’État à générer des recettes. À cela s’ajoutent les subventions aux produits de première nécessité (carburants, alimentation), qui représentent 5 % des dépenses totales. Par ailleurs, en juillet 2025, le gouvernement a annoncé une réforme des retraites prévue pour entrer en vigueur en septembre. Elle concernera plus d’un million de cubains (79 % des retraités), pour un coût annuel de 917 millions USD. Le budget table également sur une hausse des recettes de 11 %. Les recettes fiscales représentent 68 % du total, soutenues par l’instauration d’une taxe spéciale sur les services de télécommunications, censée rapporter plus de 543 millions USD pour 2025. Toutefois, les recettes demeurent fragilisées par les sanctions américaines, qui entravent les financements internationaux et le tourisme. Les perspectives pour 2026 ne laissent entrevoir aucune amélioration notable. Le déficit devrait se maintenir, dans un contexte de ressources limitées. Son financement reposera sur l’émission d’obligations domestiques.
L’un des défis majeurs restera le poids de la dette extérieure (environ 75 % de la dette publique en 2023), largement constituée d’arriérés. Malgré des efforts de restructuration, notamment un énième rééchelonnement avec le Club de Paris en janvier 2025, Cuba peine à honorer ses engagements. Le pays avait pourtant obtenu un accord historique en 2015 auprès de la Russie et du Club apurant ses arriérés, mais de nouveaux défauts et retards de paiement ont entamé sa crédibilité financière. La dette révisée auprès du Club de Paris s’élève désormais à 4,8 milliards USD. Mais cette dette ne représente que 16,2% de la dette totale de l'île, estimée à 28,5 milliards de dollars fin 2023. La réintroduction de Cuba sur la liste américaine des États soutenant le terrorisme coupe l’accès aux crédits de développement et complique les négociations avec les autres créanciers.
Un déficit courant contraint par le manque d’entrées de devises
Financé par des crédits commerciaux ciblés, de l’aide et des prêts concessionnels chinois et russes, le déficit courant se creuse en 2025, et devrait se stabiliser en 2026. Au premier semestre de cette année, les exportations de biens, demeurent affaiblies par les sanctions et sont pénalisées par la baisse des prix internationaux, la pénurie d’énergie et d’intrants, les contraintes logistiques et le recul de la production sucrière. La stratégie extérieure reposera de nouveau sur les exportations de services médicaux (deux tiers des recettes d’exportations de biens et services) et touristiques. Or, le tourisme recule, tandis que les missions médicales font l’objet de pressions américaines. De plus, les remises d’expatriés seront impactées par le durcissement américain. Enfin, contraint d’importer 80 % des biens de consommation alimentaire, le pays demeurera dépendant des importations de matières premières, de produits transformés et d’équipements.
Les perspectives de redressement des comptes extérieurs sont assombries par la pénurie de devises étrangères, exacerbée par les restrictions américaines, et la fragmentation du marché des changes. En effet, le pays pratique trois taux : un taux officiel de 24 CUP : 1 USD pour les transactions publiques et budgétaires, un taux de 120 CUP pour la population et les touristes, et un taux du marché parallèle qui atteignait 387 CUP : 1 USD fin juillet 2025. Face à cette dislocation, les autorités ont annoncé en décembre 2024, sans date de mise en œuvre précisée, leur intention d’introduire un régime de change flottant pour le taux intermédiaire, afin de réorienter les flux de devises vers les circuits officiels et d’augmenter les réserves de change. Toutefois, en raison de la dépréciation du taux parallèle, la mise en œuvre de cette réforme reste incertaine.
Un régime fragilisé par la tempête économique et les sanctions
Reconduit en 2023 pour un second mandat de cinq ans, Miguel Díaz-Canel est à la tête du Parti communiste (PCC) qui conserve son monopole sur les institutions. Si la légitimité du pouvoir est fragilisée par les pénuries, l’effondrement du pouvoir d’achat et l’absence de perspectives économiques, aucune opposition structurée ne menace la stabilité du régime. Cependant, confronté à un soutien populaire en recul, le gouvernement poursuit sa stratégie de durcissement, par le biais de lois ciblant les opposants, la pression policière, et le recentrage de sa communication sur les réseaux numériques afin de canaliser la frustration et d’encourager un dialogue avec la population. Sur le plan économique, l'année 2025 marque un tournant dans le discours officiel, l’exécutif reconnaissant son incapacité à inverser les difficultés économiques. Néanmoins, la responsabilité continue d'être imputée à l'embargo américain.
Alors que la présidence de Joe Biden avait amené un desserrage timide des sanctions, l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche a signifié le retour à la ligne dure de son premier mandat. La portée extraterritoriale des sanctions explique le soutien mesuré d’autres pays de la région (Brésil, Colombie et Mexique), ainsi que d’autres (l’UE et le Canada). Face à cet isolement international renforcé, Cuba cherche à diversifier ses appuis extérieurs. En mai 2025, le pays a officialisé un partenariat avec la Russie pour la construction d’un parc industriel dans la zone défiscalisée de Mariel, soit un investissement d’un milliard USD d’ici 2030. Le rapprochement avec la Chine s’accélère également, symbolisé par l’exemption de visa pour les touristes chinois et la signature de quinze accords dans le secteur biotechnologique en avril 2025.