Le détroit de Bab el-Mandeb est l’un des points de passage maritimes les plus stratégiques – et les plus sensibles – au monde. Situé entre la péninsule arabique, au nord-est (côté Yémen), et la Corne de l’Afrique, au sud-ouest (notamment Djibouti et l’Érythrée), il forme une étroite bande d’eau reliant la mer Rouge au golfe d’Aden, et par extension, à l’océan Indien. Chaque incident dans le détroit de Bab el-Mandeb peut toucher les marchés mondiaux, perturber l’approvisionnement de secteurs clés, faire grimper les coûts logistiques et déclencher des réactions géopolitiques en chaîne.
À propos du détroit de Bab el-Mandeb
Ce détroit joue un rôle clé dans le commerce mondial : il est le seul accès maritime direct vers le canal de Suez, principal lien entre l’Europe et l’Asie. Chaque année, entre 10 et 12 % du commerce maritime international y transite, ce qui représente des milliers de navires transportant des biens essentiels. À son point le plus étroit, le détroit ne mesure que 30 kilomètres de large, ce qui rend la navigation particulièrement délicate, surtout en période de tensions ou de conflits.
Parmi les cargaisons qui empruntent cette route figurent notamment :
- Du pétrole brut et du gaz naturel liquéfié (GNL), en provenance du Golfe persique et à destination de l’Europe ou des États-Unis. Certains supertankers transportent des millions de barils à chaque traversée.
- Des produits manufacturés, électroniques, véhicules ou textiles, souvent chargés dans des ports asiatiques comme ceux de Chine, d’Inde ou de Malaisie, et à destination de l’Europe.
- Des produits alimentaires et agricoles, y compris du blé, du riz, du sucre ou du thé, entre les pays du Sud-Est asiatique, du Moyen-Orient et du continent africain.
- Des biens stratégiques pour les chaînes logistiques, tels que des pièces détachées industrielles ou des composants technologiques.
Origine des risques dans le détroit de Bab el-Mandeb
Le détroit de Bab el-Mandeb n’est pas seulement un couloir maritime : c’est une zone où se concentrent instabilité politique, menaces armées, criminalité et enjeux géostratégiques. Ce cocktail explosif en fait l’un des endroits les plus dangereux pour le transport maritime mondial.
Les risques qui pèsent sur cette route ne sont pas hypothétiques : ils sont récurrents, documentés, et parfois spectaculaires. Ils touchent aussi bien les navires de commerce que les équipages, et affectent l’ensemble de la chaîne logistique.
Trois grandes catégories de menaces rendent cette région particulièrement vulnérable.
1. Conflits armés dans la région
Le principal foyer de danger provient de la guerre civile qui déchire le Yémen depuis 2014. Les Houthis, soutenus par l’Iran, y affrontent une coalition dirigée par l’Arabie Saoudite. Cette guerre a franchi les frontières terrestres pour atteindre la mer.
Ces groupes armés utilisent drones, mines et missiles pour cibler les navires commerciaux, qu’ils soient occidentaux ou liés à des pays de la coalition. La mer devient ainsi une extension du champ de bataille.
Exemple : En janvier 2024, un cargo américain a été frappé par un missile balistique lancé par les Houthis. L’attaque a provoqué un incendie majeur à bord, illustrant la vulnérabilité des navires dans cette zone.
2. Piraterie et criminalité maritime
Le détroit est également bordé par des zones connues pour la piraterie maritime, notamment la Somalie. Si les attaques ont diminué depuis le pic des années 2010, des groupes armés restent actifs. Cette criminalité expose les équipages à des enlèvements, des vols violents, et parfois à des batailles navales improvisées.
Exemple : En mars 2024, un navire de pêche iranien a été capturé au large de la Somalie, rappelant que les menaces ne sont jamais loin.
3. Enjeux géopolitiques majeurs
Bab el-Mandeb est un point stratégique mondialement convoité. On y retrouve des bases militaires françaises, américaines, chinoises, et émiraties, toutes concentrées autour de Djibouti.
La zone est ainsi le théâtre de rivalités entre grandes puissances, où les navires marchands deviennent des dommages collatéraux potentiels.
Exemple : Des navires israéliens sont régulièrement ciblés en mer Rouge par des missiles houthis, en réponse à des tensions régionales au Proche-Orient.
Impacts concrets des risques dans le détroit de Bab el-Mandeb
Les menaces dans le détroit de Bab el-Mandeb ne sont pas de simples hypothèses stratégiques : elles se traduisent chaque jour en retards, surcoûts, pertes financières et drames humains. Les compagnies maritimes, les importateurs, les assureurs et les équipages en subissent directement les conséquences.
1. Des conséquences lourdes pour les marchandises
Chaque perturbation dans la zone a un effet domino sur toute la chaîne logistique. Les navires doivent parfois contourner l’Afrique par le Cap de Bonne-Espérance, ajoutant 10 à 15 jours de navigation.
- Retards importants : Les délais de livraison explosent, particulièrement pour les échanges entre l’Asie et l’Europe.
- Hausse des coûts : Les assurances “zone de guerre”, le carburant pour les itinéraires allongés, et les mesures de sécurité embarquées font grimper les frais logistiques.
- Marchandises perdues : Les produits périssables (fruits, médicaments, vaccins) peuvent devenir invendables après de tels retards.
Exemple : En 2023, environ 8,6 millions de barils par jour de pétrole brut, de condensats et de produits pétroliers raffinés ont transité par ce détroit, selon l'U.S. Energy Information Administration (EIA). Cependant, au cours des huit premiers mois de 2024, ce volume a chuté de plus de 50 %, atteignant en moyenne 4,0 millions de barils par jour. Cette baisse est principalement due aux attaques des milices houthies au Yémen, qui ont conduit de nombreux navires à éviter cette route stratégique et à opter pour des itinéraires plus longs autour du cap de Bonne-Espérance.
2. Un fardeau humain pour les équipages
Au-delà des pertes matérielles, ce sont aussi des vies humaines qui sont mises en danger.
- Les équipages naviguant dans la zone sont exposés à des attaques de drones, tirs de missiles, voire à des tentatives d’enlèvement.
- Le stress constant de naviguer dans un “hotspot” militaire engendre de la fatigue psychologique, et certaines compagnies maritimes commencent à refuser les missions passant par Bab el-Mandeb.
Ces tensions affectent directement la disponibilité de navires et de personnel, ce qui aggrave les perturbations logistiques mondiales.
3. Un niveau de risque mesurable
La dangerosité de la zone est reconnue officiellement par les principaux assureurs maritimes, qui l’ont classée en “zone à haut risque”. Cela signifie que :
- Le risque d’incident dépasse 1 % par traversée sans escorte militaire.
- Ce taux peut augmenter significativement en période de conflit actif, comme c’est le cas depuis fin 2023, avec l’intensification des attaques liées à la guerre au Yémen et aux tensions régionales.
Dans ces conditions, naviguer sans protection dans cette région revient à jouer avec le feu – au sens propre comme au figuré.
Quelles alternatives face aux risques de Bab el-Mandeb ?
Face à l’instabilité chronique du détroit de Bab el-Mandeb, les acteurs du transport maritime n’ont d’autre choix que de repenser leurs itinéraires, parfois dans l’urgence. Plusieurs solutions permettent de contourner – ou du moins de limiter – l’exposition à cette zone à haut risque.
Ces alternatives ne sont pas sans coûts ni contraintes, mais elles permettent de sauvegarder l'intégrité des marchandises, des équipages et des contrats dans un contexte international tendu.
1. Le détour par le Cap de Bonne-Espérance (Afrique du Sud)
Ce détour est la solution la plus simple en apparence : éviter complètement la mer Rouge en contournant l’Afrique par le sud.
- Compter +12 à 15 jours de navigation, ce qui alourdit considérablement les délais de livraison.
- Les coûts de carburant explosent, surtout pour les grands porte-conteneurs.
- Cette route est souvent activée en urgence, notamment lors des fermetures du canal de Suez (comme en 2021 avec l’Ever Given) ou en période de forte tension sécuritaire.
Cette option est sûre, mais impacte fortement la compétitivité des entreprises soumises à des délais stricts.
2. Le transport multimodal via les Émirats ou Israël
Une alternative plus créative : découper le trajet maritime en plusieurs segments, et le compléter par voie terrestre.
- Les navires déchargent à Djeddah (Arabie Saoudite) ou Eilat (Israël).
- Les marchandises sont ensuite transportées par rail ou route vers les ports de Méditerranée pour un réacheminement.
Cette option repose sur :
- Des partenariats logistiques solides entre acteurs portuaires, douanes, et sociétés de transport terrestre.
- Une certaine stabilité politique dans les pays de transit.
Ce modèle est utilisé par certains opérateurs israéliens pour contourner Suez ou la mer Rouge, notamment pour les flux vers l’Europe du Sud.
3. Les convois escortés par des forces militaires
En dernier recours, certaines routes restent ouvertes grâce à une sécurisation militaire.
- Des navires marchands naviguent en convois encadrés par des bâtiments de guerre, souvent américains ou européens.
- Ces escortes permettent de réduire drastiquement le risque d’attaque, notamment par drones ou missiles.
Mais :
- L’accès à ces convois est limité, souvent réservé à des opérateurs stratégiques ou gouvernementaux.
- La coordination avec les forces armées nécessite une planification précise et parfois un surcoût important.
Recommandations pour une transaction passant par Bab el-Mandeb
Traverser Bab el-Mandeb aujourd'hui, c'est comme naviguer dans une zone à haut risque : les dangers sont bien réels, mais une préparation appropriée peut considérablement réduire les conséquences.
Pour garantir la sécurité des marchandises, des équipages et des délais, il est essentiel d’adopter une approche proactive et stratégique.
1. Analyse de risque en amont
La première étape dans la sécurisation de toute transaction maritime passe par une analyse complète des risques avant l’expédition. Cela inclut la surveillance constante des alertes émises par des organismes comme l’Organisation Maritime Internationale (IMO) et la consultation des rapports des assureurs spécialisés.
Ces informations permettent d’évaluer précisément la situation géopolitique et sécuritaire dans la région et d’ajuster les choix logistiques en conséquence.
2. Choisir un armateur expérimenté
Le choix de l’armateur est essentiel. Il est crucial de sélectionner une compagnie maritime qui ait une expérience solide dans la région, avec des itinéraires validés et des équipages formés pour faire face aux risques spécifiques de Bab el-Mandeb.
Ces compagnies sont également mieux équipées pour répondre aux menaces potentielles, avec des dispositifs de sécurité à bord, comme la surveillance radar et des protocoles anti-piraterie.
3. Renforcer le contrat logistique
Un contrat bien conçu est un pilier de la gestion des risques. Il doit inclure une assurance cargo “guerre” pour couvrir les marchandises en cas d’incident lié à un conflit armé.
De plus, il est recommandé d’intégrer une clause de force majeure qui permettra d’ajuster les termes du contrat en cas de blocage, de détournement ou de toute autre perturbation imprévisible, garantissant ainsi une certaine flexibilité et protection pour toutes les parties prenantes.
4. Suivi en temps réel du navire
Le suivi en temps réel de l’itinéraire du navire est un autre aspect clé pour assurer la sécurité des expéditions. Grâce à des services comme MarineTraffic, Windward ou Spire, il est possible de suivre la trajectoire du navire et d'anticiper les risques, en recevant des alertes instantanées si le navire dévie de son itinéraire ou s’approche d’une zone dangereuse.
Ces outils permettent également de partager les informations avec les clients et partenaires, améliorant ainsi la communication en temps réel.
5. Prévoir un plan B activable sous 24h
Enfin, il est essentiel de prévoir une solution de secours en cas de problème majeur. Bien que toutes les précautions puissent être prises, un plan logistique alternatif doit être en place. Ce plan pourrait inclure un détour via le Cap de Bonne-Espérance ou un transit terrestre pour un réacheminement rapide des marchandises.
Le plus important est de s'assurer que ce plan soit activable dans les 24 heures et bien coordonné avec les différents partenaires logistiques.